RETRANSCRIPTION DES QUESTIONS-RÉPONSES, DE LA SYNTHÈSE, ET DE LA DISCUSSION

SYNTHÈSE PAR LE PROFESSEUR DAVID CAPITANT

« Je vous remercie, Professeur MIZUMACHI. Vous nous avez en effet ramenés sur le terrain de la théorie, une théorie qui n'est pas de la même nature que celle que nous avons développée au début de ce colloque, à savoir la théorie de la discrimination positive dans son ensemble, et vous nous proposez un discours de la méthode, et de la méthode pratique pour remédier aux différences de situations, de conditions. La boucle, en quelque sorte, est bouclée. Nous arrivons à la fin de la liste de nos intervenants, et je propose que nous engagions peut-être la discussion finale de cette demi-journée. Je prendrai toutefois auparavant rapidement la parole, pour essayer de synthétiser un peu les propos des uns et des autres, et poser quelques questions qui se sont imposées à mon esprit en écoutant l'ensemble de nos intervenants. Finalement, on se rend compte - me semble-t-il - que la discussion qui souvent apparaît la plus riche et, pour le juriste, aussi peut être la plus facilement envisageable, concerne la mise en oeuvre des moyens qui vont permettre de répondre à telle ou telle situation particulière.

En effet, sur le terrain théorique, finalement, on peut discuter à l'infini le point de savoir si telle situation mérite ou non de faire l'objet d'une discrimination ou d'un mécanisme de discrimination positive : s'agit-il d'une rupture du principe d'égalité, ou est-ce au contraire une aide à la réalisation de l'égalité? Mais les différentes sortes d'égalité sont tellement nombreuses, comme Madame TSUJIMURA a eu l'occasion de l'exposer de manière un peu systématique dans son exposé introductif : discrimination de fait ou de conditions, égalité de résultat ou égalité des chances, ... les notions de l'égalité sont tellement variées que, finalement, on peut discuter à l'infini pour savoir si le principe d'égalité est mis en cause ou non par un mécanisme de discrimination positive.

La loi est-elle la même pour tous, s'est-on interrogé tout à l'heure. La loi est la même pour tous ceux qui appartiennent à la même catégorie a t-on répondu, et c'est ce que les théories les plus classiques du droit administratif et du droit constitutionnel nous enseignent. Mais à partir d'une phrase de ce type, on peut là encore tirer des conséquences très variées. Si on applique la même loi à des personnes qui sont dans des catégories différentes, sans doute la loi est-elle la même pour tous. Mais enfin, du point de vue des personnes qui se voient appliquer une même loi dans des situations différentes, eh! bien, la loi n'est pas égale et ne tient pas compte effectivement des situations de chacun.

Alors, sans doute, devrait-on compléter la définition classique du principe d'égalité - qui veut qu'on applique une même solution à des personnes qui sont dans la même catégorie - avec une obligation positive qui serait d'appliquer des solutions différentes à des personnes qui sont dans des situations différentes. On peut effectivement le faire, mais on ne sort pas de la problématique qui est celle de savoir comment définir les catégories. Le Professeur CALVÈS a beaucoup développé cette question, insistant sur la nécessité de prendre en compte la question de l'objectif.

Ce qu'il faut donc faire, c'est opérer une discrimination parmi les discriminations, déterminer parmi les discriminations celles qui sont légitimes, celles qui sont « raisonnables » - comme disait le Professeur YAMAMOTO - et celles qui, en revanche, ne le sont pas. Il y a en effet des discriminations légitimes : la discrimination selon les vertus et les talents dispose même en droit français d'un rang constitutionnel, ce qui est pour le juriste épris de hiérarchie des normes - et le Conseil constitutionnel lui-même en conviendrait - peut-être le meilleur élément qui puisse assurer la légitimité de cette discrimination particulière. Il y en a d'autres, au contraire, qui peuvent apparaître illégitimes, du moins le sont-elles apparues politiquement : pour notre législateur, les discriminations qui peuvent exister entre hommes et femmes sont actuellement considérées comme illégitimes. On peut sans doute discuter philosophiquement sur le point de savoir si cette position politique est bonne ou mauvaise, c'est quelque chose qui intéresse le citoyen et qui n'est pas inintéressant mais, pour le juriste, finalement, une fois que le législateur s'est prononcé, ce qu'il reste à faire, c'est mettre en oeuvre les politiques de discrimination positive.

Cela rend difficile la position des constitutionnalistes. Si le législateur a tout dit, et a tout bien dit, que reste-t-il alors à faire au Conseil constitutionnel ou à la Cour constitutionnelle, quel que soit le paysage dans lequel ils se placent.

Je crois, Professeur CALVÈS, que vous nous l'avez bien montré. En réalité, ce qui subsiste, c'est l'examen du lien objectif existant entre la méthode qui est mise en oeuvre et l'objectif qui est poursuivi. L'objectif ne peut pas être contesté ; en revanche, ce qui pourrait être contesté, c'est la pertinence de la méthode, de la pratique utilisée, par rapport à l'objectif poursuivi.

De ce point de vue, les exposés des parties françaises aussi bien que japonaises, ont été riches d'enseignements, examinant de manière extrêmement variée les différents domaines dans lesquels les politiques de discrimination positive peuvent être mises en oeuvre. Les problèmes, là aussi, surgissent nombreux.

Tout d'abord, comment intervenir habilement pour corriger une inégalité sans la péréniser? En accordant des bonifications de retraite aux femmes qui ne travaillent pas, certes, on va sans doute remédier à une discrimination - celle qui s'applique au regard du régime de retraite -, mais ne risque-t-on pas de péréniser la situation des femmes au regard du droit du travail? La question que l'on peut alors se poser - fondamentale s'agissant de la problématique des discriminations positives - est la suivante : en s'appuyant sur une discrimination, et en la rendant positive dans un régime donné, n'en entretient-on pas, en même temps, les caractères négatifs? une même discrimination n'a-t-elle pas des conséquences positives, d'une part, et des conséquences négatives, d'autre part? et est-ce qu'opérer une discrimination, ce n'est pas tout à la fois flatter les deux faces de la même pièce? Auquel cas, finalement, pour contourner une discrimination de fait, il faudrait surtout l'oublier, et on en arrive de nouveau à l'universalisme. Je ne prétends pas avoir sur ces questions - qui ont été admirablement exposées tout à l'heure à propos de la parité - des positions définitives, ni des conclusions, mais enfin je vois là cette difficulté consistant à faire mal quand on voudrait bien faire...

La deuxième question était celle de la représentation de la nation par des représentants de sexe féminin. Là encore, je crois que ce sont les questions de méthode qui sont les plus complexes. Madame MOSSUZ-LAVAU nous a bien montré que tout le monde était d'accord sur l'objectif, qui était d'assurer une plus grande participation des femmes en politique. En revanche, là où sans doute on peut discuter, c'est quant à savoir si la méthode des quotas - qui consiste simplement à imposer un résultat - est la bonne méthode : au contraire, ne devrait-on pas plutôt intervenir sur les modalités pratiques qui conduisent à ce que les femmes sont sous-représentées au sein des enceintes? Vous avez insisté (à l'adresse de Madame Janine MOSSUZ-LAVAU), Madame, et cela m'a beaucoup intéressé, sur la situation des femmes dans les pays étrangers. Et je me faisais la réflexion, en vous écoutant, que souvent, dans ces pays, les modalités de scrutin ne sont pas les mêmes. Je me posais la question de savoir si, finalement, lorsque l'on avait des méthodes de scrutin de liste - et le lien entre le scrutin législatif et le scrutin municipal est peut-être aussi éclairant de ce point de vue là -, le mode de scrutin lui-même, qui ne tient pas compte de la qualité des personnes inscrites sur les listes, favoriserait la représentation des femmes. Je pourrais pousser la réflexion en me demandant si, les choses étant ce qu'elles sont - et elles sont susceptibles d'évoluer en ce qui concerne la place des femmes dans la société ; celle des hommes aussi, car on ne saurait parler de la place des femmes sans évoquer en même temps, et corrélativement, celle des hommes -, le mode de scrutin à la représentation proportionnelle ne favoriserait pas là aussi l'accès à la représentation. C'est alors bien une question de méthode pour obtenir la fin d'une différence de situation, de « conditions » disiez-vous, qui semble être le centre du propos.

De la même manière, à propos de la situation des femmes dans les entreprises privées, le Professeur Sayaka DAKE a décrit les solutions là encore très pragmatiques adoptées dans le cadre japonais. Je ne saurais dire si l'on peut y voir une différence de culture, pour opposer à la réflexion française extrêmement générale, l'esprit pragmatique traditionnellement reconnu au Japon éternel.

En tout cas, vous montriez là encore, du moins dans les législations que vous avez évoquées, que plutôt que d'imposer un résultat particulier, on essayait d'influer sur les modalités incitant les femmes à se tourner vers tel ou tel type d'activité. Je me faisais d'ailleurs la réflexion que cette question était aussi extrêmement complexe et que, lorsque l'on veut favoriser l'accès des femmes à l'entreprise, on va pousser les femmes dans les entreprises ; peut-être faut-il aussi permettre aux hommes de les quitter. Et je notais un chiffre, à savoir qu'1% seulement des hommes utilisent la possibilité qui semblerait ouverte de manière égale aux femmes, d'utiliser le congé parental. Ce 1% me laisse alors supposer qu'une certaine pression s'exerce aussi sur les hommes qui n'utilisent pas cette possibilité, malgré le fait que certains peut-être le souhaiteraient. Là encore, s'agissant des moyens, une question extrêmement complexe.

Les théories que vous nous avez données pour clore ce débat, Professeur MIZUMACHI, nous donnent sans doute un certain nombre de pistes pour réfléchir à cette question. Exposé extrêmement riche, et je suppose nombreuses les questions qui seront posées dans la salle à ce propos. Avant de remercier définitivement les orateurs, je crois donc qu'il faut les livrer sans plus attendre à vos questions. »