RETRANSCRIPTION DES QUESTIONS-RÉPONSES, DE LA SYNTHÈSE, ET DE LA DISCUSSION

DISCUSSION

Jacqueline LAUFER (Professeure au Groupe HEC) :
« Tous les exposés ont été passionnants. Il y aurait beaucoup de questions à reprendre. J'en aurais ici deux. Une à Madame CALVÈS à propos de la constitution de la catégorie qui est au fondement de la discrimination positive en matière de retraite des femmes. À propos de cette opération de catégorisation, est-ce qu'au fond la question n'est pas en dehors de la science politique : y avait-il une bonne catégorisation, selon l'analyse que l'on fait de la situation réelle des femmes? Existait-il en l'occurrence un bon fondement? Vous avez évoqué ici la protection de la conciliation, des mères, etc... Et, de fait, les femmes sont effectivement chargées de la conciliation. Fallait-il donc annuler cet état de fait que constate la sociologie, ou fallait-il le corriger? Je ne suis pas juriste, mais n'y avait-il pas là la nécessité d'instaurer une mesure temporaire? Le constat statistique s'améliorant quant à l'éventuelle participation des femmes au marché du travail, on pouvait très bien réfléchir sur la vertu de l'action positive, dont la philosophie principale est d'être temporaire. Je voulais avoir votre sentiment sur ce point. J'aurais ensuite une deuxième question, adressée cette fois au Professeur MIZUMACHI, et relative à une remarque faite par le Professeur CAPITANT à propos de l'approche plus pragmatique au Japon qu'en France en matière de négociation et de plans d'action dans l'entreprise. »

Gwénaële CALVÈS :
« Tout d'abord, s'agissant de la question du « bon fondement »... je ne suis pas sûre de bien la comprendre, dans la mesure où, pour ma part, j'ai essayé de me placer sur le terrain du droit positif, en l'occurrence le terrain contentieux, mon objet étant d'examiner les méthodes appliquées par le juge à la loi qui lui est déférée, les méthodes d'analyse qu'il met en oeuvre. La question du bon fondement me semble être totalement autre : j'avoue qu'en qualité de juriste je suis radicalement incompétente, mais même en tant qu'individu je n'ai pas le début d'une idée sur la question. Ce que je voulais seulement mettre en évidence dans mon propos, c'est que le bon fondement - sur le terrain contentieux - c'est au moins le fondement pertinent. Ce que j'ai voulu montrer, c'est que si l'on décide que le choix de la catégorie est guidé par une réflexion du type : « il y a un partage inégal du travail, les femmes pâtissent plus que les hommes du fait des enfants qu'elles ont à élever par ailleurs », si on décide qu'il faut prendre en compte cette donnée de fait, et si on ne dit pas qu'il s'agit d'une inégalité normalement appelée à disparaître... comme dit le Conseil constitutionnel - parce que par quel effet magique cela pourrait-il disparaître? ; la Cour de Justice des Communautés européennes, par exemple, quand on lui a posé la question, a considéré - et c'était repris dans les arguments des saisissants - que si l'on donnait une forme de prime à ce travail féminin, à ce sur-travail féminin, alors, nécessairement, la situation perdurera. »

Jacqueline LAUFER :
« On peut tout de même commencer par des politiques plus actives de l'emploi, une articulation des responsabilités professionnelles qui incitent à la mixité des pratiques de conciliation... enfin, on peut répondre qu'il y a des marges de progrès, qui sont d'ailleurs constamment gagnées, pour améliorer l'égalité entre les hommes et les femmes sur le marché du travail, et se placer dans cette perspective. »

Gwénaële CALVÈS :
« Oui, mais alors le cas de la pension n'est pas le bon point d'application. Si on veut corriger ce type d'inégalité, ce n'est pas en corrigeant le coût différé de l'enfant, parce que là, le coût est différé, et pèse sur la pension. Et c'est aussi ce qu'a fait valoir la Cour de Justice des Communautés européennes : « Vous présentez cela comme une mesure de réduction des inégalités et de correction des discriminations de fait qui pèsent sur les femmes ayant des enfants à leur charge? Mais alors, si c'est cela, faites-le sur le terrain des pratiques d'emploi! » »

Jacqueline LAUFER :
« Je vous suis très bien. Merci. »

* * * * * *

Francis HAMON (Professeur émérite à l'Université de Paris XI) :
« J'aimerais revenir sur deux points, avec tout d'abord une remarque à propos de la décision du Conseil constitutionnel du 14 août 2003, dont je souhaiterais prendre un petit peu la défense ici. Vous avez présenté la double critique. D'abord, vous avez dit que le Conseil constitutionnel manquait de cohérence puisqu'il avait pris en considération la situation de fait, alors qu'il ne l'avait pas fait en 1982 pour les quotas. Mais dans le cas des quotas, le problème était différent, il ne s'agissait pas seulement d'une inégalité de fait, il s'agissait aussi de la liberté des partis de choisir leurs candidats, et de la liberté des électeurs de choisir leurs élus. Je crois qu'il fallait une argumentation beaucoup plus forte pour les quotas qu'il ne le fallait pour justifier ces compensations en matière de retraite. Cela nous conduit justement à la question des critères adoptés par le Conseil constitutionnel. Vous avez rappelé, il y a instant, la méthode de la Cour de Justice des Communautés européennes, qui a dit que les bonifications ne pouvaient pas être considérées comme une discrimination positive au sens de l'article 151 du Traité parce que seules les mesures tendant à faire disparaître ces inégalités pourraient être considérées comme des mesures de discrimination positive, et non pas comme des mesures simplement compensatoires. Mais quels résultats cette jurisprudence a-t-elle donnés en pratique ? Or, les réultats ont été, pour les femmes, malheureusement tout à fait défavorables. Les femmes, dont les enfants étaient nés avant leur entrée dans la fonction publique, ont perdu le droit aux bonifications, alors qu'elles pensaient pouvoir compter sur ces bonifications, qu'elles avaient fait des calculs de carrière en fonction de ces bonifications; et les femmes dont les enfants n'étaient pas encore nés au moment de l'entrée en vigueur de la loi, ont été obligées d'interrompre leur carrière pour bénéficier de congés parentaux, au lieu de bénificier automatiquement d'une bonification comme les femmes travaillant dans le secteur privé. Le problème, donc, c'est que cette dureté idéologique se traduit par des mesures qui sont en réalité défavorables aux femmes. »

Danièle LOCHAK :
« Sur le premier point, ce n'est pas pour vous renvoyer l'un et l'autre dos à dos, mais le vrai problème c'est qu'en 1982, ce n'était pas le problème de l'égalité, ce n'était pas même le problème de la liberté, c'était le problème d'un corps - électoral ou éligible - indivisible. Bon.

Ce que j'aimerais surtout ajouter, c'est que le problème des mesures de « discrimination positive » - appelons cela comme ça - c'est qu'elles s'appliquent à une catégorie quelle que soit par ailleurs la situation individuelle des personnes de la catégorie concernée. Moi, en tant que fonctionnaire, j'ai droit, je vais avoir droit à une petite bonification pour un enfant, mais pourquoi? Honnêtement, je n'ai jamais souffert dans ma carrière d'être une femme. Et pourtant, j'en profite aussi. C'est cela aussi, le vrai problème de la discrimination positive : on fait partie de la catégorie, et voilà! on profite d'avantages. En France, à partir du moment où l'on fait partie d'une catégorie qui statistiquement est discriminée, on bénéficie de la mesure. Je précise toutefois que ce n'est pas la même chose pour les noirs américains. »

Francis HAMON :
« Oui, mais une mesure de discrimination positive aboutit toujours à des inégalités dans des cadres divers. Par exemple, il y a des hommes qui prennent en charge l'éducation de leurs enfants et qui ne peuvent pas bénéficier de ces bonifications parce que ce serait trop compliqué d'appliquer les discriminations positives au cas par cas. Je crois que toute mesure de discrimination positive est nécessairement générale et qu'elle aboutit dans les cas particuliers à des inégalités. »

David CAPITANT :
« Nous sommes donc dans une situation de masse, et nous sommes traités pour appartenir à une catégorie, et non plus individuellement. »

Armelle LE BRAS-CHOPARD (Professeure à l'Université de Saint-Quentin-en-Yvelines) :
« À propos de l'influence du mode de scrutin, je souhaiterais insister sur une idée qui nous permettrait de dépasser les problèmes soulevés par la parité et liés à l'universalisme. Je fais ici référence à l'idée du non-cumul des fonctions, en particulier l'idée qu'un mandat ne puisse pas être reconduit indifiniment, contrairement à la situation actuelle qui nous met dans une situation comparable à celle de l'Empereur du Japon pour certains de nos hommes politiques... On voit bien que, sur cette question du non-cumul des mandats, il y a une réaction corporatiste masculiniste des hommes qui fait penser un petit peu à l'attitude des sénateurs à la fin de la Troisième République, quand on a voulu supprimer les sénateurs inamovibles. Je crois que si l'on arrivait à ne pas avoir plus de deux mandats successifs, il y aurait certainement un renouvellement, et l'on n'aurait même plus à se poser la question de la discrimination hommes-femmes, il n'y aurait plus non plus - ou il y aurait moins - de discriminations envers les jeunes, les populations issues de l'immigration, etc. Je souhaiterais donc, en m'adressant aux juristes, envisager ici la problématique sous un angle plus général. »

Janine MOSSUZ-LAVAU :
« Je vais répondre très rapidement. Je ne suis pas sûre, Armelle, que si, au lieu de faire la loi sur la parité, on avait simplement limité les mandats dans le temps - parce que je pense aussi au cumul de plusieurs mandats en même temps, c'est l'ensemble du cumul des mandats qu'il faudrait voir, pas seulement le cumul dans le temps - je ne suis pas sûre, donc, que cela aurait permis d'arriver à des résultats, en tout cas à celui auquel on est arrivé - c'est-à-dire où la loi s'applique. Et (à l'adresse de David CAPITANT) vous aviez raison de souligner tout à l'heure que c'est effectivement plus facile quand les scrutins sont à la proportionnelle. Quand c'est un scrutin majoritaire, il est vrai que c'est plus difficile, parce que cela favorise les combats de notables, et que les femmes ne sont pas, dans la situation historique et sociologique d'aujourd'hui, encore suffisamment notables - en tout cas pour une partie d'entre elles - pour pouvoir être des candidates que choisissent de préférence les partis politiques, ces derniers choisissant en général parmi les candidats à la députation plutôt des hommes qui sont à la fois président du conseil général, président du conseil d'administration de l'hôpital, etc., c'est-à-dire des hommes qui cumulent toute sorte de fonctions. Donc, je ne suis pas sûre que cela aurait pu suffire. Je crois qu'il y a d'autres mesures auxquelles il faut penser, à commencer par le statut de l'élu, qui n'existe toujours pas, en tout cas pas de façon satisfaisante, ceci expliquant aussi pourquoi il est difficile pour un certain nombre de femmes de prendre des responsabilités politiques. Je ne suis pas sûre que cela aurait eu l'effet qu'a eu cette loi, qui a quand-même instauré la parité dans les conseils municipaux ou régionaux, à la délégation française au Parlement européen et qui, aujourd'hui, est en plus remise en cause par un certain nombre de groupes qui voudraient qu'on aille plus loin et qui, du coup, envisagent des mesures plus contraignantes pour les législatives. Sur ce point, j'interroge plutôt les juristes pour savoir ce qu'une telle initiative donnerait au niveau du Conseil constitutionnel, à supposer que cela passe à l'Assemblée nationale. Quoiqu'il en soit, des mesures plus contraignantes, donc, pour les législatives, et notamment pas de financement public du tout pour les partis qui ne respecteraient pas la parité aux législatives. Il s'agit là encore d'un point d'interrogation, mais je pense que la loi, de ce point de vue là, va plus loin que si l'on avait seulement procédé à une réduction du cumul des mandats. »

Francis HAMON :
« S'agissant de la question des mesures nécessaires pour renforcer la parité en politique - qui est effectivement très faible en France aux niveaux de l'Assemblée nationale et des conseils généraux -, vous venez de proposer une mesure qui serait très radicale, à savoir la suppression totale des financements publics, et ce serait d'autant plus dur que les financements privés des partis politiques se sont considérablement réduits du fait de l'interdiction des dons faits par des personnes morales. Certains partis pourraient vraiment se trouver dans une situation dramatique. Je crois que là il faut tout de même concilier cet objectif de la parité avec l'objectif de la liberté de l'électeur, et sa liberté de choisir ses candidats. Si l'on aboutissait à un résultat mettant certains partis pratiquement hors-course, je pense que ce serait tout de même excessif, et - si important que soit l'objectif de la parité - on ne saurait sacrifier totalement l'objectif consistant à permettre aussi une certaine égalité entre les forces politiques. Il existe une autre mesure, qui est souvent proposée pour renforcer la parité dans les scrutins uninominaux, c'est la mixité de l'équipe formée par le titulaire et son suppléant. Les députés sont élus avec un suppléant, qui les remplace en cas de décès ou de nomination à des fonctions incompatibles, et qui est souvent aussi leur dauphin. C'est une mesure qui serait beaucoup moins contraignante, et qui aurait des effets évidemment seulement à long terme, mais néanmoins importants. »

Janine MOSSUZ-LAVAU :
« Juste un mot pour répondre sur un des points - je pense que l'on pourrait discuter pendant des heures sur ce sujet. Vous avez parlé au début de votre intervention de la liberté de l'électeur de choisir ses candidats. Or, je suis désolée, mais l'électeur n'a aucune liberté pour choisir ses candidats. Ce sont les partis politiques qui désignent leurs candidats, qui désignent des hommes ou des femmes, l'électeur - lui - a juste la liberté de choisir, s'il est à gauche, le candidat proposé par le parti de gauche qui l'intéresse, s'il est à droite, le candidat proposé, ou la candidate proposée, par le parti de droite qui l'intéresse; il n'a aucune autre liberté, ce n'est pas lui qui choisit ses candidats. Donc, la loi sur la parité ne change strictement rien sur ce point là. »

Francis HAMON :
« Peut-être, mais il y aura encore moins de liberté... »

QUESTION (assistance) :
« J'aurais aimé poser une question à nos collègues japonais. Je ne connais pas grand-chose au droit japonais, il faut bien le dire; j'aimerais savoir à quel type de source, et notamment à quel type de source juridique, les Japonais se réfèrent quand, par exemple, ils décident une législation en faveur des femmes dans tel ou tel domaine. Est-ce que leurs sources d'inspiration, tendent plutôt, par exemple, vers le droit ou la jurisprudence américains, ou plutôt vers des systèmes comme ceux de l'Europe du Nord, à moins que le « modèle » - avec beaucoup de guillemets... - français ne leur serve de source d'inspiration? Ou bien s'agit-il, davantage encore, d'une réflexion purement japono-japonaise, en l'absence de toute source extérieure d'inspiration? »

Hajime YAMAMOTO :
« Quelles sont donc les sources du droit japonais pour améliorer la situation s'agissant de l'égalité? On peut dire qu'en général, les juristes professeurs de droit japonais sont dès le début comparatistes. Il est courant au Japon, en effet, de prendre un sujet de thèse concernant les droits américain, allemand, français, ou anglais. On est forcément comparatiste. Par exemple, en tant que constitutionnaliste japonais spécialisé dans l'étude du droit constitutionnel français, je peux choisir la question de la parité ou bien une autre question spécifiquement française, susceptible de contribuer à notre propre réflexion et expertise juridiques. D'autres collègues constitutionnalistes japonais, dont la spécialité, par exemple, relève plutôt du droit allemand, entament d'autres recherches, également susceptibles de nous être utiles. Ma réponse sera donc que l' « on prend un peu de tout dans le monde ». Mais le grand problème est que, parmi nous, il y a peu de spécialistes de droit asiatique, c'est-à-dire du droit chinois, du droit coréen, ou du droit d'autres pays asiatiques. Donc, notre angle de vue, ou perspective intellectuelle, est trop exclusivement orienté vers les pays occidentaux. »

Miyoko TSUJIMURA :
« Je voudrais ajouter, en tant que membre de la commission gouvernementale chargée de la promotion de l'égalité des sexes, que le Japon a établi la loi sur l'égalité du genre en 1999, et que l'on étudie maintenant presque toutes les mesures favorables à l'égalité des sexes adoptées dans divers pays, qu'il s'agisse de la France ou d'autres pays. Je voudrais toutefois souligner que le système français - que la loi rend impératif - nous apparaît, à nous Japonais, comme étant très sévère. Or, le gouvernement japonais rechigne à introduire un système trop contraignant, invoquant notamment le fait que cela ne correspondrait pas à la mentalité japonaise. Il me semble que les systèmes suédois ou américain peuvent être considérés comme plus en phase avec la situation du Japon.

Je souhaiterais également profiter de ce début de réponse pour poser, à mon tour, une question. Dans mon exposé ce matin, je me suis montrée quelque peu provocatrice, en critiquant la terminologie française de « discrimination positive ». Je pense que cette expression, très forte, reste par définition porteuse de controverse. Je voudrais connaître à ce sujet le sentiment des trois spécialistes ici présentes, ainsi que du public : vous accordez-vous sur cette expression de discrimination positive? »

Danièle LOCHAK :
« Pendant très, très, très longtemps, j'ai dit que je refusais absolument d'utiliser ces termes. Maintenant, cela devient difficile, parce qu'il y a un moment où la réalité l'emporte, puisqu'on l'utilise. Par contre, je pense - sans avoir pu le développer ce matin - que si l'on veut dire des choses intelligentes, et intelligibles, sur cette question, on ne peut pas utiliser le terme de « discrimination positive » à tout moment. Je ne suis même pas sûre que ce dont on a parlé - les mesures sur la retraite - constituent des discriminations positives. Cela se discute. Si vraiment il faut utiliser ce terme - puisque dans le langage politique dont les juristes s'inspirent, il est devenu passe-partout - au moins faisons les choses bien, et montrons qu'il y a plusieurs types de mesures préférentielles, et que toutes ne méritent pas le terme de « discrimination positive ». Alors, après, on peut discuter sur le point de savoir ce qui le mérite, ce qui ne le mérite pas. Sur la parité, 90% des gens vous diront que c'est une mesure de discrimination positive. Personnellement, je persiste à penser que pas forcément, parce qu'il faudra encore prouver que l'on a donné à des femmes moins méritantes des postes que des hommes plus méritants auraient, sinon, obtenus. Or, le mérite, en politique, est absolument impossible à déterminer... »

Gwénaële CALVÈS :
« Je vais, pour ma part, rebondir tout simplement sur ce que vient de dire Danièle LOCHAK. Donc, (s'adressant à Danièle LOCHAK) tu postules que l'on ne peut parler de discrimination - positive ou négative - que quand il y a atteinte à un principe méritocratique. Mais je ne vois pas pourquoi on poserait cela comme critère de définition. Pour ma part, j'adhère totalement à l'expression « discrimination positive », pour une raison qui me semble toute simple, et qui est exactement le contraire de ce que vient de dire Danièle, à savoir que - justement - si l'on utilise le terme de « discrimination positive », on peut pointer les catégories Je vais, pour ma part, rebondir tout simplement sur ce que vient de dire Danièle LOCHAK. Donc, (s'adressant à Danièle LOCHAK) tu dis, à juste titre, que des mesures préférentielles, il y en a plein : les jeunes qui payent moins cher le train, les personnes agées qui payent moins cher leur place de cinéma, .... Des mesures préférentielles, effectivement, il y en a plein.. Mais, précisément, si l'on utilise le terme de « discrimination positive », on a une façon de cibler, de borner le champ, parce que par « discrimination » on fait nécessairement référence à deux critères : premièrement, le critère de distinction doit être le même que celui qui s'attache à la discrimination négative - à savoir que le fait d'être une femme, cela ne qualifie, ni ne disqualifie, en réalité cela n'a aucun rapport avec la capacité à représenter la nation. Ou le fait d'être noir, cela n'a aucun rapport avec le fait d'être un bon ou un mauvais professeur de mathématiques. Donc, dans la discrimination négative, on retient ces critères ; dans la discrimination positive, aussi. La question du critère est donc extrêmement importante : soit un critère non pertinent qui ne tire sa pertinence que du fait d'une oppression passée. On procède ici seulement à un renversement. Et, d'autre part, l'emploi de « positif » s'explique par l'objectif, qui est un objectif très particulier de rattrapage d'inégalités qui ont été creusées par un passé d'assujettissement. Donc, je trouve que « discrimination positive », c'est une expression qui colle parfaitement pour décrire la structure et l'objectif de ce type de mesure. »

Danièle LOCHAK :
« Mais tu es d'accord aussi qu'il ne faut pas l'utiliser à tort et à travers... »

Gwénaële CALVÈS :
« Pour ce qui est de ne pas l'utiliser à tort et à travers, bien-sûr, je suis parfaitement d'accord! Ne pas l'utiliser, par exemple, comme cela a été fait à propos du préfet musulman, etc. ... »

Janine MOSSUZ-LAVAU :
« Juste un mot, pour dire que je suis plutôt d'accord avec Danièle LOCHAK. Le terme même - je ne vais pas rentrer dans le fond du problème comme vient de le faire Gwénaële -, l'expression de « discrimination positive », pour moi, c'est quasiment un oxymore. C'est comme si l'on disait : « l'humaniste Jean-Marie LE PEN ». C'est de cet ordre là. Cela dit, comme c'est passé dans le langage des sciences humaines d'une façon générale - pas seulement dans celui des juristes, mais dans celui utilisé par tous les spécialistes de sciences humaines - on est bien obligé d'en user pour communiquer. On est donc contraint de le prendre, mais moi je préfère de loin l'expression « action positive » qui ne renvoie pas à cet espèce de doute et de contradiction sur des notions qui, pour moi, sont un peu différentes. »

David CAPITANT :
« Si je peux me permettre un mot sur cette question qui m'a beaucoup intéressé. Il me semble que la notion de discrimination correspond exactement à ce qui se fait : nous voyons bien, dans l'opération de définition d'une « catégorie », une discrimination. Quant à dire si elle est positive ou négative, je crois qu'elle est les deux à la fois. C'est une discrimination positive pour les uns, et négative pour les autres : lorsque l'on impose un taux minimum de participation des femmes, on interdit un taux supérieur de représentation des hommes; lorsque l'on adopte un mécanisme qui va accorder aux femmes uniquement, on en prive du même coup les hommes. Donc une mesure positive est négative : lorsque l'on impose un taux d'imposition à une personne qui a des revenus supérieurs, c'est une mesure qui est négative pour elle, et qui est positive pour les personnes qui, en contre-partie, paieront moins. Il y a donc une discrimination. Quant à savoir si elle positive ou négative, cela a, à mon avis, un sens au plan politique. Effectivement, il y a des discriminations qui sont légales, et d'autres qui sont illégales. Ce qui est intéressant pour le juriste, c'est que la discrimination soit légale. On pourra effectivement distinguer dans les objectifs d'intérêt général, de manière purement politique, si l'objectif d'intérêt général tient à une situation traditionnelle d'asservissement ou d'oppression. On pourrait imaginer des objectifs d'intérêt général au plan politique que l'on ferait entrer dans des catégories politiques fort différentes, mais ce qui intéresse le juriste c'est uniquement le fait qu'il y a une discrimination. Et donc, pour ma part, je me contenterai de parler de « discrimination » - non pas « positive », « négative », ou autre - mais de « discrimination justifiée », et par conséquent légale, puisque la légitimité est une notion que l'on ne peut utiliser que très difficilement. Elle est légale ou pas, et donc « discrimination » tout court me semble suffisant pour envisager juridiquement cette situation. »

QUESTION (assistance) :
« Peut-on opérer un parallèle entre, d'une part, cette discussion sur l'expression de « discrimination positive » - que l'on est obligé d'utiliser parce que tout le monde l'emploie - et, d'autre part, la confusion qui entoure actuellement les concepts de « travail », « emploi » et « activité », que tout le monde utilise, souvent faute de mieux. Je vous rappelle que, conformément à cette grille de lecture, on dit qu'une personne n'ayant pas d'emploi rémunéré ne travaille pas - or, comme l'on sait, le travail des femmes est souvent négativisé dans ces cas-là. »

David CAPITANT :
« Cette question dépasse peut-être assez largement la question de la discrimination positive. Effectivement, chacun a un emploi en pleine fonction dans la société, que l'on ait un emploi rémunéré et que l'on rentre dans une catégorie du droit du travail, ou pas. C'est absolument certain.

Le temps imparti ne nous permettant toutefois pas de répondre plus précisément ici, ce sera l'occasion pour nous de clôre cette discussion et, pour moi, de remercier encore une fois très particulièrement nos correspondants japonais, qui non seulement ont été à l'initiative de cette journée - je tiens à le rappeler véritablement - mais qui ont aussi fait des kilomètres pour nous rejoindre et renouveler la discussion sur une thématique déjà très largement labourée sous nos frontières. On dit souvent que la doctrine française n'est pas très nombreuse sur cette question, ce qui aura en tout cas eu pour nous l'avantage de pouvoir en accueillir la part la plus représentative dans ces murs aujourd'hui. »