RETRANSCRIPTION DES QUESTIONS-RÉPONSES, DE LA SYNTHÈSE, ET DE LA DISCUSSION

QUESTIONS-RÉPONSES

David CAPITANT (suite à l'intervention du Professeur Hajime YAMAMOTO) :
« Je vous remercie pour ce brillant exposé, tant dans la forme que dans le fond. Le Professeur YAMAMOTO, dont la modestie égale l'indépendance d'esprit, n'a pas hésité - après nous avoir annoncé un propos très descriptif - à nous offrir une présentation particulièrement intéressante sur le fond. Je relève pour ma part - simplement pour tenter une rapide comparaison - quelques grands parallèles . D'abord en matière de sources, et sur le plan formel, vous nous avez dressé un tableau qui est très comparable à celui que vous, Professeur LOCHAK, vous aviez dressé auparavant : une constitution qui intervient, relativement compatible avec le contenu des traités internationaux, puis des lois venant - de manière assez ponctuelle en général - traduire ce principe de non-discrimination, ce principe d'égalité. Un parallèle que l'on retrouve également dans l'évolution des termes puisque, s'agissant du mot « discrimination », vous nous disiez, Professeur LOCHAK, que le terme n'avait au départ un sens ni négatif ni positif ; or, le mot japonais avait intialement le même caractère neutre, ne prenant qu'ensuite un caractère négatif. Une petite distinction : la discrimination « légitime » du droit français devient une discrimination « raisonnable » en droit japonais, ce qui nous fait penser à la notion italienne de « razione volezza », qui correspond un peu à la proportionnalité, et en tout cas évoque la raison, nous permettant de retrouver là un caractère universaliste qui toujours intervient concernant les questions d'égalité. Enfin, au plan politique, on constate là encore une grande similitude des questions évoquées : la question des enfants naturels, celle du nom de famille ; celle du sexe du chef de l'État ne se posant sans doute pas dans notre république dans les mêmes termes que dans la monarchie japonaise; cela dit, nous n'avons pas encore, dans les faits, de Présidente de la République...

Je crois qu'il est temps maintenant de passer à quelques questions. La salle a maintenant la parole. »

Sandra FREY (Chargée de mission sur la parité auprès du Ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer) :
« Merci beaucoup pour vos très riches interventions. J'ai beaucoup apprécié le travail fondamental sur les concepts, éclairant la distinction entre les notions d'inégalité et de discrimination. Je me demandais comment - en droit français, autant qu'en droit japonais - articuler les apports de la sociologie au droit, en ce qui concerne en particulier les inégalités dans le domaine de l'éducation des enfants. On se trouve là face à un état de fait, porteur finalement par la suite - une fois les enfants devenus adultes - d'inégalités tenant à l'éducation, qui n'est pas inscrite dans le droit. Comment arriver à articuler conceptuellement cette réalité pour traduire en droit un tel état de fait - est-ce une discrimination? est-ce une inégalité? - et comment formaliser cette donne pour stopper la production d'effets concrets négatifs? »

Danièle LOCHAK :
« On entre là dans le domaine de ce que l'on appelle parfois les 'discriminations systémiques'. Après tout, personne n'empêche les filles de s'orienter vers certaines formations ou carrières. Il y a donc un phénomène d'intériorisation concernant la différence des sexes, sans que personne ne soit responsable. Pour le reste, on entre dans le domaine des ZEP (zones d'éducation prioritaire), etc. ... Alors, comment lutter? Pour le coup, je ne suis pas sûre que ce soit le droit qui soit le meilleur moyen, et il me semble que si la HALDE - la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour la promotion de l'Égalité - doit un jour servir à quelque chose, ce que j'espère, sans pour l'instant... enfin, nous verrons. Ce serait cela aussi : entamer ce type de réflexion, voir quelles politiques publiques peuvent aller avec, etc. ... Bien-entendu le droit joue comme mesure d'accompagnement, et toute politique publique trouve une traduction dans des lois, décrets, et procédures administratives. Mais, en l'occurrence, je pense que d'autres mesures, de type éducatif, sont les bien venues. Comme, d'ailleurs, dans tout domaine de discrimination. C'est la même chose pour la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle : il faut des textes qui pénalisent, mais ce n'est pas non plus de cette façon que l'on y arrivera. Je crois qu'il faut être aussi conscient des limites de l'instrument législatif, au sens strict j'entends. Mais il y aurait peut-être des réponses plus optimistes ou plus concrètes que la mienne. »

Hajime YAMAMOTO :
« Sur votre question, j'aimerais seulement proposer un exemple. Celui de la meilleure université du Japon, l'Université de Tokyo, dit-on. Une enquête sur les filles et les garçons ayant réussi l'examen très sélectif d'entrée révèlerait que la plupart des heureux candidats ont suivi une formation exceptionnelle dans l'enseignement secondaire par rapport à la scolarité normale (3 ans de collège, puis 3 ans de lycée). Qu'est-ce que cela signifie? Pour réussir à entrer dans une bonne université japonaise, l'environnement éducatif est très important. Superficiellement, il n'y a pas de discrimination économique - toutes et tous sont issus de milieux plus ou moins aisés : il n'y a pas trop de pauvres, ni trop de riches - mais, sociologiquement, je pense qu'il y a une bipolarisation de plus en plus importante. En exagérant un peu, les filles ou garçons ayant grandi dans une famille peu favorisée ont moins de chances que celles et ceux issus de familles favorisées. Mais le grand problème, c'est que les Japonais en général, le gouvernement japonais, et l'Université concernée elle-même, ne sont pas très sensibles à ce problème. Il m'apparaît donc qu'au Japon, la réflexion sur cette question accuse un retard certain. »

Helena HIRATA (Directrice de recherche au CNRS) :
« J'ai entendu avec beaucoup de plaisir les trois premières interventions qui ont été très profitables. Et je pose une question de sociologue. Je souhaiterais savoir comment chacun de vous envisage les aspects positifs et négatifs de l'existence si prégnante en France de l''universalisme', et de son absence dans un Japon très hiérarchisé : quelles sont, selon vous, les conséquences positives et négatives sur le droit et les pratiques concernant la discrimination? »

Danièle LOCHAK :
« Je veux bien essayer de dire un mot. Mais ce sera hélas pour souligner qu'il est absolument impossible de répondre à cette question. Il y faudrait des journées entières, puisque vous savez bien que c'est au coeur du débat sur la parité, c'est au coeur du débat sur la condition des gens issus de l'immigration, ... Si vous me posez la question, je vous répondrai que l'universalité doit rester le point de départ, mais que si l'on reste figé là-dessus, on n'arrivera à rien. Ce n'est là, toutefois, qu'une position personnelle. C'est d'ailleurs ce que j'avais dit rapidement en terminant.

Je voudrais juste, peut-être pour faire le lien entre les deux questions, ajouter un point : dans les universités, aujourd'hui, il n'y a plus que des filles, on ne peut donc pas dire qu'elles sont discriminées; mais quand on a supprimé les concours séparés (École Normale Supérieure, par exemple), les agrégations séparées filles-garçons, on a constaté une baisse importante du nombre de filles. C'est une question que se sont posées tout d'un coup les féministes : 'que va t-on faire, maintenant que l'on a supprimé les concours distincts au nom de l'universalité? Il y a moins de filles qui réussissent les concours scientifiques d'accès aux grandes écoles et à l'agrégation!'. Je laisse la question ouverte. Mais c'est vraiment au coeur de notre discussion d'aujourd'hui, en France.

De même, la question de la lutte contre les discriminations fondées sur l'origine ethnique. Est-ce que oui ou non, il faut prendre en considération l'origine dans les statistiques? Tous les débats qu'il y a autour des 'statistiques ethniques', moi, je trouve cela très passionnant comme débat intellectuel et politique, le problème c'est que c'est très souvent difficile d'en discuter de façon sereine et sans s'envoyer des invectives : 'tu n'es qu'un horrible communautariste', etc. ... Je trouve que, pourtant, c'est un débat qui en vaut la peine. J'ai déjà été un peu longue en vous répondant, mais si vraiment on voulait débattre de cela, c'est plusieurs journées qu'il nous faudrait. »