Retour sur évènements

Le Premier Symposium International organisé par le Gender Law and Policy Center (Sendai, 4-5 novembre 2004)

Le Professeur Clyde WILCOX intervenant, en sciences politiques, à propos de "La nature controversée des politiques sur le genre aux États-Unis",
ouvrit son propos sur un paradoxe. Tandis que les partis politiques pour les femmes sont plus importants et généralement mieux financés aux États-Unis que dans la plupart des autres pays, et que les femmes y constituent une majorité de votants, ces dernières restent toutefois très minoritaires parmi les élues : 14% seulement à la Chambre des Représentants et au Sénat, 26% parmi les hautes autorités élues au niveau des États, 23% pour l'ensemble des instances législatives des États. Aucune femme n'ayant même brigué les présidentielles. Autant de chiffres qui relèguent les États-Unis au 60ème rang mondial en ce qui concerne la participation des femmes aux processus de décision en matière législative.

S'interrogeant sur les raisons d'une telle situation, Clyde WILCOX relève que - en dépit d'un soutien public relativement important accordé aux candidates - peu de femmes cherchent à conquérir le siège de représentant, les barrières institutionnelles jouant comme freins à la promotion rapide de l'égalité des genres. Si cette sous-représentation des femmes emporte nécessairement des conséquences négatives en termes d'élaboration des politiques publiques, Clyde WILCOX souligne que l'élection de davantage de femmes ne conduit pas pour autant systématiquement à l'élaboration de politiques féministes. Bien au contraire, puisque certaines élues parmi les Républicains soutiennent ouvertement des positions anti-féministes, cherchant à circonscrire la place des femmes, en référence exclusive à leur rôle traditionnel.

Ce dernier constat, en particulier, laisse voir à quel point la nature des politiques sur le genre est contestée aux États-Unis. À la différence de ce qui se passe dans la plupart des pays, le débat y oppose moins des femmes désireuses d'accéder au pouvoir à des hommes peu enclins à céder du terrain, que différents mouvements sociaux ayant réussi à mobiliser les femmes autour de messages distincts, souvent radicaux. La mobilisation des femmes conservatrices et rattachées à divers mouvements religieux, a ainsi contribué dans une très large mesure à bloquer aux États-Unis des avancées désormais acquises dans d'autres pays en faveur des femmes.

Posant précisément la question de savoir pourquoi si peu de femmes élues, Clyde WILCOX rappelle que, en règle générale, la portion de femmes élues est le résultat de l'interaction entre la demande de candidates, le « stock » réel de candidates, et les institutions électorales de régulation entre l'offre et la demande en la matière. Étant entendu que chacun de ces trois pôles peut influencer, négativement, la participation des femmes : qu'il s'agisse pour le public de priver de son soutien les candidates, ou pour les femmes de ne pas briguer en grand nombre les mandats, ou encore pour les institutions politiques elles-mêmes de désavantager les candidates.

Revenant sur le caractère contesté des politiques relatives au genre, Clyde WILCOX souligne que, aux États-Unis, la principale ligne de fracture se situe entre les différents mouvements sociaux que parcourent des visions opposées s'agissant de la place à accorder à chacun des genres en matière de participation politique. Plus exactement, les groupes féministes et les groupes anti-féministes entrent en compétition pour définir ce que chacun estime devoir être une politique américaine du genre. Si le développement du mouvement féministe aux États-Unis est connu, la mobilisation anti-féministe l'est moins. Tandis que dans la plupart des pays, les mouvements féministes ne suscitèrent que des résistances non-organisées, les mouvements anti-féministes américains apparaissent au contraire comme très structurés, articulés le plus souvent autour de valeurs religieuses conservatives.

Il est donc intéressant de souligner que, aux États-Unis, féministes et anti-féministes partagent une même conscience aiguë des problèmes relatifs aux questions de genre mais, tandis que les premières s'inscrivent en faux contre l'ordre patriarcal d'une société façonnée à l'image des hommes, pour le bénéfice des hommes, et persistant à dénier aux femmes des droits égaux, les secondes - au contraire - dirigent leur vindicte en direction non pas des conceptions traditionnelles en matière de répartition des rôles, ni des structures institutionnelles positives, mais tout simplement en direction des présupposés féministes. Tandis que les féministes conçoivent l'homme et la femme en tant qu'individus ayant différents intérêts, les anti-féministes raisonnent en termes de groupes - masculin et féminin - dotés chacun différemment par Dieu, et selon un arrangement assignant à chacun une place bien définie.

Surtout, les mouvements anti-féministes apparaissent particulièrement bien organisés, disposant de réseaux à travers tout le pays. Comme le relève l'intervenant, l'activisme anti-féministe a la même fonction-levier que l'activisme féministe, en matière de promotion de l'engagement politique des femmes, mais au service de messages substantiellement différents. Quelques chiffres à titre d'illustration : tandis que la National Organization for Women (NOW), principale organisation féministe, avance quelques 500 000 membres actifs, sa rivale, l'organisation antiféministe Concerned Women for America (CWA) compte plus de 500 000 membres actifs et fonctionne avec un budget atteignant près de 12 millions de dollars. Son message s'articulant, sans surprise, autour de thèmes comme la promotion des familles « traditionnelles », l'opposition à l'avortement, le soutien aux politiques conservatrices en matière d'éducation, l'opposition à différents instruments internationaux, traités et conventions. Deux mouvements clairement opposés, même si travaillant, à l'occasion, de concert (par exemple sur la question du trafic des êtres humains). La ligne de partage traverse bien-entendu les présidentielles et, au-delà, la politique adoptée en matière de nominations à la Cour Suprême qui aura à juger, dans un contexte de prise de conscience croissante, des questions liées à l'égalités des sexes, à l'avortement, aux droits des homosexuel(le)s, ...

Ces lignes de fractures ne doivent toutefois pas faire oublier ce que Clyde WILCOX appelle les « Noncombatants in the Culture Wars ». Aujourd'hui en effet, nombre de femmes ne sont ni féministes ni anti-féministes. Le label féministe a mauvaise presse auprès des plus jeunes, dont la plupart prennent pour définitivement acquises les conquêtes du XXème siècle, trouvant par exemple invraissemblable qu'une Sandra O'Connor ait pu se heurter à tant d'obstacles avant d'accéder aux fonctions de la Cour Suprême. Peu d'entre elles acceptent les arguments anti-féministes.

Mais une telle insensibilité idéologique en matière de politiques sur le genre n'est pas sans soulever des difficultés. Sans lecture idéologique, les jeunes femmes - toujours confrontées à la discrimination, notamment dans le domaine professionnel - risquent fort de se voir démunies et contraintes d'accepter comme inévitable leur situation, à commencer par celle qu'elles rencontrent sur le marché du travail.

Au regard de cette description, en quoi le cas américain est-il susceptible d'offrir certaines leçons? Les mouvements féministes des années 70 contribuèrent incontestablement à faire prendre conscience que les problèmes des femmes, considérés jusqu'alors comme étant individuels et devant être assumés comme tels, pouvaient en définitive être compris comme étant politiques. Le succès des mouvements féministes américains a également consisté à pouvoir compter non seulement sur la participation des femmes mais aussi sur celle des hommes. En dépit d'avancées notables, les femmes restent cependant sous-représentées politiquement. Il apparaît donc nécessaire, au vu des obstacles existants, de développer des politiques permettant aux femmes de combiner les différents rôles qu'elles assument aussi bien dans le public que dans le privé. Par ailleurs, et ainsi que l'ont récemment montré certains travaux en sociologie politique (BURNS, SCHLOZMAN, & VERBA, 2003), il apparaît que le fait que des femmes soient élues en politique stimule, au niveau local, l'intérêt des femmes pour la politique, et donc aussi leur participation sur ce plan. Une perspective, malgré tout, encourageante.

Clyde WILCOX est professeur à l'Université de Georgetown.

Carrière académique

  • B.A. West Virginia University
  • M.A. The Ohio State University
  • Ph.D. The Ohio State University
  • Depuis 1996 : Professeur, Georgetown University
  • 1991-95 : Professeur associé, Georgetown
  • 1987-91 : Professeur assistant, Georgetown
  • 1986-87 : Professeur assistant invité, Union College
  • 1984-86 : Statisticien, Commission pour les élections fédérales

Prix et distinctions

  • Bryan Prize, Outstanding Dissertation in Political Science, Ohio State University, 1984
  • Honorary doctorate, Kalamazoo College, 2000
  • Distinguished Alumnus Award, Department of Political Science, West Virginia University, 2000

Principales publications

  • The Year of the Woman. (with Elizabeth Adell Cook and Sue Thomas). Boulder: Westview. 1994. (edited book)
  • Women in Elected Office: Past, Present, and Future. (with Sue Thomas). New York: Oxford University Press. 1998. (2nd edition in process). (edited book).
  • The Financiers of Congressional Elections: Investors, Ideologues, and Intimates. (with Peter Francia, John Green, Paul Herrnson, and Lynda Powell.) New York: Columbia University Press. 2003.
  • Political Science Fiction (with Donald M. Hassler). Charleston: University of South Carolina Press. 1996. (edited book)
  • Between Two Absolutes: Public Opinion and the Politics of Abortion. (with Elizabeth Adell Cook and Ted G. Jelen). Boulder: Westview, 1992.