Retour sur évènements

Le Premier Symposium International organisé par le Gender Law and Policy Center (Sendai, 4-5 novembre 2004)

Dans son intervention, en philosophie des sciences de l'éducation - et intitulée "À la recherche de l'égalité: les femmes portées manquantes de l'Éducation supérieure" - le Professeur Jane Roland MARTIN
commença par rappeler que les obstacles qui pavaient le parcours des étudiantes ou des femmes membres de l'université sont en partie levés. Et pourtant, le fait de ne toujours pas trouver de femmes là où l'on serait en droit de les attendre, ces femmes « manquantes » de l'éducation supérieure, indique assez que rien - en matière d'accès à l'éducation - n'est encore achevé.

S'attachant à l'histoire de ces femmes manquantes de l'éducation universitaire, en particulier aux États-Unis, le Professeur Jane Roland MARTIN décrit tout d'abord les nouveaux facteurs conduisant à la disparition des femmes dans les disciplines académiques considérées comme les plus prestigieuses ; puis l'intervenante s'interroge sur leur absence aux plus hauts postes du professorat, avant de mettre en lumière le processus conduisant au relatif silence des programmes sur le sujet des femmes.

Jouant sur le contraste entre les propos provocateurs du Platon de la République, et l'acharnement - tout rousseauiste - dont on fit généralement preuve par la suite pour remettre les femmes à leur place, Jane Roland MARTIN commença son intervention en nous rappelant qu'une Mary Wollstonecraft avait à son époque conclu, tout simplement, qu'hommes et femmes devaient recevoir la même éducation. Et, non contente de prôner une éducation identique, l'anglaise devait encore se faire l'avocate de l'éducation mixte. Wollstonecraft, faisant le lien entre éducation et citoyenneté, concevait l'éducation mixte comme indissociable de la conquête de l'égalité des droits. Or, si la mixité est désormais acquise, elle n'empêche pas que réapparaisse - sous une forme déguisée - la distinction des genres au sein du système éducatif.

On observe tout d'abord une nette différenciation des sexes en fonction des disciplines. La répartition par sexes qui s'opère en pratique, conduit à distinguer les « disciplines molles » ('soft' areas) - à faible prestige académique et faible valeur promotionnelle sur le marché du travail (les Langues et les Lettres) -, des autres champs disciplinaires qui, plus valorisants et plus prometteurs, sont aussi massivement occupés par les hommes (les Sciences physiques, mathématiques, et de l'ingénieur). Que les femmes soient davantage attirées par les disciplines littéraires ne ferait pas en soi problème. Mais, comme insiste Jane Roland MARTIN, les « disciplines molles » et les « disciplines dures » ont des statuts académiques à ce points inégaux, que le déséquilibre des sexes en la matière ne saurait que faire question. L'intervenante y voit en effet une inégalité fondée sur le genre. Wollstonecraft aurait-elle, une seule seconde, imaginé que la mixité se ferait un jour au détriment d'une répartition équilibrée des sexes selon les disciplines?

S'ajoute à ce premier écueil, le fait que les femmes ne parviennent ni dans la même proportion, ni au même rythme que les hommes aux plus hauts postes de la hiérarchie académique. De sorte que la question demeure de savoir ce en quoi consiste au juste l'égalité des sexes dans le domaine professoral.

Le contenu des cours, du point de vue de l'égalité des sexes, fait lui aussi question. Certes, les programmes universitaires intègrent aujourd'hui le traitement de la question des femmes. L'université contemporaine a cessé, il est vrai, de se draper dans ce silence absolu dont elle s'entourait jadis sur le sujet. Pour autant, il semblerait que l'on soit encore loin d'intégrer parfaitement aux différents cours et programmes la perspective du genre (« mainstreaming »). C'est à partir des années 70 que la question fut posée de savoir comment concevoir les nouveaux programmes sur les femmes : ajoutés seulement aux autres cours, ou véritablement intégrés aux différents cours, selon une approche transdisciplinaire? Certains craignant que créer un cours spécialement consacré à la question des femmes - comme c'est aujourd'hui le cas - ne contribue à « ghettoiser » la recherche. Se gardant de trancher ici le débat, Jane Roland MARTIN s'en tint à observer que - en dépit de la prolifération aux États-Unis des cours consacrés aux études sur les femmes -, la transformation en profondeur du curriculum, que tous souhaitaient quelques années auparavant, ne s'est pas produite. Nous sommes encore loin, en pratique, de l'approche transversale prônée sur le plan des principes.

Jane Roland MARTIN termina son intervention en invoquant les problèmes liés à ce qu'elle nomme le « chilly coeducational classroom climate » : pas seulement aux États-Unis, mais aussi dans plusieurs autres pays, à tous les niveaux éducatifs, et dans des types très divers d'institutions, filles et garçons, hommes et femmes, se voient traités différemment, y compris par leurs professeurs. Un climat d'irrespect vis-à-vis de ces dernières, qui n'est certes pas fait pour favoriser ni la confiance en soi des étudiantes, ni leur épanouissement intellectuel, ni le confort psychologique qu'elles seraient en droit d'attendre.

En conclusion, Jane Roland MARTIN s'interroge : l'emploi du mot « choix », si prisé en matière d'éducation, ne serait-il pas, en l'occurrence, de rhétorique pure, masquant en définitive rien moins que d'insidieux processus de sélection « genrée »? Répondre avec clairvoyance à la question pourrait bien aider à résoudre l'énigme des femmes « manquantes » de l'éducation supérieure.

Jane Roland MARTIN est professeure émérite de philosophie, Université du Massachusetts, Boston (États-Unis)

Carrière académique

  • 1996-97 : Harvard Graduate School of Education, Visiting Professor,
  • 1972-1992 : University of Massachusetts, Boston, Professor of Philosophy
  • 1998 : Fellowship for Research in Japan, Japan Society for the Promotion of Science, Tokyo, March
  • 1996 : John Dewey Lecturer, John Dewey Society
  • 1995 : Honorary Doctorate, University of Umea, Umea Sweden
  • 1993 : Honorary Doctorate, Salem State College
  • 1987-88 : Guggenheim Fellowship
  • 1984-85 : National Science Foundation Fellowship in the History and Philosophy of Science
  • 1980-81 : President, Philosophy of Education Society
  • 1980-81 : Educational Research Fellow, Bunting Institute, Radcliffe College

Principales publications

  • Reclaiming a Conversation: The Ideal of the Educated Woman (New Haven: Yale University Press, 1985); Japanese language edition, 1987 ; Korean language edition, 2002; Swedish language edition, 2004.
  • Cultural Miseducation: Toward a Democratic Solution (New York: Teacher's College Press, 2002)
  • Coming of Age in Academe: Rekindling Women's Hopes and Reforming the Academy (New York: Routledge, 2000)
  • Changing the Educational Landscape: Philosophy, Women and Curriculum (New York: Routledge, 1994)
  • The Schoolhome: Rethinking School for Changing Families (Cambridge: Harvard University Press, 1992)