Retour sur évènements

Le Premier Symposium International organisé par le Gender Law and Policy Center (Sendai, 4-5 novembre 2004)

Dans sa présentation, portant sur "Les études sur le genre au Japon", le Professeur KAINO Tamie
s'attacha à retracer l'historique des lois sur le genre au Japon, à décrire les principales composantes de ces dernières, à dresser les perpsectives d'un droit du genre, et à définir les enjeux des études sur le genre au Japon.

Rappelant la création, en décembre 2003, de la première association de ce type - la Japan Association of Gender and Law - , ainsi que le lancement, l'année suivante de la revue académique Gender and Law, la seule de ce niveau dédiée à la question, le Professeur KAINO Tamie souligna que les études sur le droit du genre firent leur apparition dans les années 1980, consécutivement à la ratification par le Japon de la Convention sur l'Élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes. Tout en agissant de concert avec les réformes engagées au plan international, les mouvements pour les femmes jouèrent, historiquement, un rôle non négligeable au Japon, en portant devant les tribunaux les questions relatives aux droits des femmes et en réclamant des réformes législatives.

Tandis que, dans la première moitié des années 70, les mouvements de femmes, dits de libération, sont tout occupés à se distinguer de leurs aînées - qui, revendiquant de nouveaux droits, continuaient de prôner le modèle patriarcal -, l'année internationale de la femme en 1975, ainsi que la Décennie des Nations Unies pour les femmes (1975-1985), contribuèrent à instiller dans l'étude du droit au Japon la perspective du genre. Précisément, KINJO Kiyoko, qui étudia aux États-Unis, s'attacha à systématiser l'approche des études juridiques sous cet angle. On peut aussi citer les travaux de INOUE Teruko. La fin des années 80 et le début des années 90 furent marquées par le formidable bond en avant que fit faire, au plan du droit positif, la Convention sur l'Élimination de toutes les formes de discrimination à l'encontre des femmes. Furent en particulier traitées avec insistance les questions relatives aux violences sexuelles et au droit des femmes de disposer librement de leur corps. KAINO Tamie cita la réflexion de la juriste TSUNODA Yukiko sur les structures du droit positif comme mode d'oppression des femmes. Enfin, la période qui court de la fin des années 90 jusqu'à aujourd'hui, voit plusieurs secteurs académiques et disciplines - sociologie, pédagogie, anthropologie - s'emparer des études sur le genre, provoquant le déplacement de la réflexion, de la division (genrée) des rôles à la notion de genre elle-même. KAINO Tamie souligna à ce propos que l'expression « études sur le genre » - considérée comme plus neutre - fut préférée à celle d'« études sur les femmes ». La loi fondamentale sur l'égalité des genres (1999) contribua également, dans une très large mesure, à vulgariser l'approche selon la perspective du genre.

Présentant ensuite la place qu'occupent les études sur le genre au sein de l'université japonaise, le Professeur KAINO Tamie rappela que les recherches sur le genre, initialement qualifiées d'« études de niveau inférieur » parce que consistant surtout alors en une critique des études académiques traditionnelles, se virent reconnaître, en 2002, le statut de véritable discipline universitaire par le ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie.

Traitant de la place qu'occupe la perspective du genre dans les professions juridiques, KAINO Tamie insista sur quelques chiffres parlant d'eux-mêmes : 10% de femmes pour l'ensemble de la profession juridique ; 12.6% de juges, 8.4% de procureurs, 11.7% d'avocats. En dépit des discriminations dont elles sont l'objet (notamment en matière de salaires et d'avancement), les femmes juristes ont joué un rôle particulièrement important s'agissant de la promotion de la perspective du genre en droit. Que ce soit directement - à l'occasion de leurs activités dans le domaine contentieux (violences sexuelles, violence domestique, harcèlement sexuel, trafic d'êtres humains,...) -, à travers leur réflexion théorique, ou encore via leur soutien aux mouvements en faveur de la réforme du droit sur différents points (droit de la famille, droit du travail, droit pénal). En référence aux travaux du Professeur KAMINAGA Yoriko (2004), KAINO Tamie souligna cependant que les professions juridiques au Japon sont loin d'être suffisamment « féminisées » et, en comparaison avec le cas des États-Unis, absolument pas « féministes ». Ainsi, s'agissant de l'intégration de la perspective du genre dans la pratique juridique, le problème est-il avant tout structurel.

Abordant la question de la prise en compte, par le droit positif, de la perspective du genre, le Professeur KAINO Tamie insista sur l'importance de la Déclaration des Nations Unies sur l'Élimination de la violence à l'égard des femmes (1993), qui affirme la responsabilité encourue par les États en cas de manquement de ces derniers à prendre les mesures de protection adéquates pour lutter contre les violences commises à l'encontre des femmes, y compris dans la sphère privée. La loi que le Japon adopta en 2001 pour protéger les femmes victimes de violences domestiques (modifiée en 2004) constitue à cet égard une étape importante, en ce qu'elle rend nul le principe classique de « non-intervention du droit dans le domaine privé et les affaires familiales ». S'arrêtant sur ce texte, KAINO Tamie rappela le rôle déterminant que les bureaucrates, là encore, jouèrent dans le processus d'adoption de la loi, souligna les difficultés soulevées par la formation de l'entité politique « femmes », et insista sur la nécessité de « déconstruire puis reconstruire » les concepts et théories juridiques selon la perspective du genre (élargissement du contenu de la notion de violence), ainsi que sur la nécessité de réflechir sur le repositionnement du rôle de l'État en matière de protection. Développer la sensibilisation des praticiens du droit à cet égard apparaît également urgente.

KAINO Tamie, dans un propos conclusif, tint à rappeler le rôle pionnier que jouèrent certaines figures académiques dans la promotion de la perspective du genre en droit : les Professeurs TSUJIMURA Miyoko en droit constitutionnel, ASAKURA Mutsuko en droit du travail, YAMASHITA Yasuko en droit international, WAKAO Noriko en études juridiques sur le corps et la sexualité. De nombreux domaines restant encore à couvrir. L'un des principaux rôles de l'Association japonaise pour le Droit et le Genre est de favoriser le rapprochement mutuel des études théoriques, de la pratique, et des mouvements militants, les différents points de passage entre ces pôles devant contribuer à déterminer le contenu des études sur le genre elles-mêmes.

KAINO Tamie est professeure de droit à l'Université Ochanomizu, Tokyo (Japon)

Carrière académique

  • Université Ochanomizu
  • 2004 Directrice du Département des sciences de l'environnement
  • 1999- 2004 Professeur à l'Université Ochanomizu
  • 1973 Université Waseda (Tokyo), School of Law, Droit civil

Autres activités

  • Chercheure, membre du Comité de Spécialistes pour l'Étude de la violence domestique, Cabinet du gouvernement (Bureau pour l'égalité des sexes)
  • Comité de direction, "Sendai Gender Equal Opportunity Foundation"
  • Présidente du "Japan Network Against Trafficking in Persons"
  • Présidente de la "Japan Association of Gender and Law"