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Le VIème colloque du Groupe d'Études Franco-Japonais de Droit public, séminaire
« Parité et droits de l'homme en France » (Sendai, 2 septembre 2004)

L'intervention de Véronique GIMENO porta sur la question de la dignité et des droits de la femme en France. S'attachant tout d'abord au caractère controversé de la protection de la femme par le droit, Véronique GIMENO insista ensuite sur la caractère exceptionnel des droits exclusivement reconnus aux femmes.

photo4 Photo 4 - Véronique GIMENO, ATER à l'Université de Grenoble II, Sendai, 2 septembre 2004

Résumé de l'intervention

La femme, longtemps exclue du champ d'application des droits fondamentaux, ne fit son entrée dans un texte de nature constitutionnelle que sous la IVème République, qui marque une étape particulièrement importante en matière de protection juridique : « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme », nous dit en effet le troisième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

Pour Véronique GIMENO, « la protection juridique de la femme est comparable à une véritable mosaïque », sachant qu'il existe une pluralité de dispositions destinées chacune à faire face à une situation déterminée. Par ailleurs, si l'évolution de la situation de la femme dans la société doit normalement, à terme, conduire à la disparition des droits exclusivement reconnus aux femmes, Véronique GIMENO rappelle qu'il reste cependant encore un domaine où la différence entre hommes et femmes est telle qu'elle justifie la différence de normes. Il s'agit de la procréation. Ainsi, souligne l'intervenante, l'analyse de la protection juridique de la femme implique l'analyse de deux catégories de droits : ceux reconnus à la femme pour lutter contre les inégalités sociales, et ceux exclusivement reconnus aux femmes.

S'agissant des premiers, Véronique GIMENO rappelle que la plupart des textes considérés comme fondamentaux dans l'évolution des droits de la femme ne visent pas expressément les femmes, mais bien les deux sexes. Quoiqu'adoptées dans le seul but de renforcer la protection des femmes au sein de la société, ces dispositions ne sauraient être spécifiques aux femmes « pour des raisons tenant tant à la dignité de la personne humaine qu'à la tradition républicaine ». Comprenons que de telles mesures ont pour objet de mettre en place des structures destinées à corriger des inégalités historiquement enracinées. Si ces textes contiennent des obligations, elles ne sauraient être que de moyens.

Cette protection de la femme se manifeste principalement dans le domaine de la lutte contre toutes les formes de discrimination sexuelle : la révision constitutionnelle de 1999 - qui fait de la parité en matière électorale un but à atteindre - constitue à cet égard une étape importante dans l'évolution des droits de la femme. De même, la loi relative à l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, en date du 9 mai 2001, constitue un des premiers textes ayant pour but d'établir des conditions d'égalité des salariés des deux sexes, de nombreuses modifications étant apportées par la voie réglementaire. Dans tous les cas, souligne Véronique GIMENO, « la fonction du droit dans ce domaine est essentiellement de changer les mentalités et les pratiques ».

La protection de la femme par le droit concerne aussi les atteintes portées à son corps. Dans ce cas, la protection est essentiellement conventionnelle ou pénale, et concerne les violences, le viol, le harcèlement sexuel, le proxénétisme, et la prostitution. Comme le souligne l'intervenante, si nul ne conteste le principe de la protection du corps de la femme, certains critiquent parfois les moyens utilisés et les conséquences indésirables liées à cette protection. La protection du corps de la femme étant alors paradoxalement comprise comme allant à l'encontre du principe de sa dignité.

Pour Véronique GIMENO, cette interrogation présente un intérêt particulier lorsqu'elle est analysée sous l'angle de la notion de « consentement », plus exactement d'absence de consentement, qui constitue un élément décisif permettant de conclure à l'atteinte à la dignité de la personne humaine. Les divergences surgissant lorsqu'il s'agit de déterminer le moment à partir duquel le consentement n'a pas été donné. C'est surtout en matière de prostitution que la question se pose, l'évolution de la loi pénale en ce domaine ayant suscité un certain nombre de réactions parmi les féministes. Citant un autre exemple, celui du débat relatif au port du voile, Véronique GIMENO observe que, « face à de telles situations, le législateur est souvent sollicité pour mettre un terme à la controverse » et exprimer ce qui n'est autre que des choix de société.

S'attachant ensuite aux dispositions exclusivement applicables aux femmes, l'intervenante relève que leur caractère exceptionnel se justifie au regard d'une différence irréductible, celle liée à la procréation. Rappelant les lois Veil et Aubry (respectivement de 1975 et 2001), Véronique GIMENO souligne que « la reconnaissance à la femme d'un véritable droit de contrôle sur les naissances, soit par la voie contraceptive, soit par l'intermédiaire de l'avortement, a constitué un bouleversement considérable de la société ». En particulier, la loi de 2001 a pris acte non seulement de l'évolution scientifique mais aussi de l'évolution des mentalités, s'agissant notamment du principe de l'autonomie de la volonté de la femme, principe auquel le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), consulté sur la question de l'avortement, ainsi que le Conseil constitutionnel, se sont montrés très attachés.

L'intervenante souligne toutefois que, si le droit de renoncer à la maternité est reconnu au genre féminin, il en va autrement du droit d'accéder à la maternité. La loi française réservant le bénéfice de la procréation médicalement assistée à une catégorie de femmes : les femmes mariées ou vivant en couple, et hétérosexuelles. Étant entendu que les dispositions positives consacrées à la procréation médicalement assistée ne reconnaissent pas l'existence d'un « droit naturel » à la procréation mais répond « à la demande parentale d'un couple ». La question de la discrimination établie entre les femmes mariées et les femmes célibataires n'a pas été soulevée devant le Conseil constitutionnel. Pour Véronique GIMENO, la loi bioéthique aurait pourtant pu être contestée au regard du principe de dignité de la personne humaine. Et d'expliquer que, « partant du présupposé que le droit de vivre contient celui de donner la vie, la distinction entre les femmes mariées et les femmes célibataires pour bénéficier de la procréation médicalement assistée, apparaît injustifiable ».

En dépit de certaines avancées, Véronique GIMENO s'interroge : le droit, au lieu de contribuer à réduire l'écart entre les hommes et les femmes, ne viendrait-il pas au contraire les creuser davantage? Et de citer, en forme de conclusion, ce propos d'E. BADINTER : « Venue des femmes, la parité se retournera contre elles, car la ségrégation, qu'elle soit de sexe, de genre, de race, entraîne toujours la discrimination. Venue de la gauche, la parité se révèlera un obstacle à l'émancipation des autres exclus, figés pour longtemps dans une appartenance qui maintient les inégalités ».