Retour sur évènementsLe point sur la question de la discrimination positive en France :
|
![]() |
Photo 1 - Madame le Professeur Gwénaële CALVÈS, Sendai, 28 juillet 2005 |
Commençant par préciser les termes de ce débat, Gwénaële CALVÈS a insisté sur le fait que la discrimination positive est au coeur de plusieurs discussions parallèles :
S'attachant dans un deuxième temps aux enjeux dont est porteur le débat français autour de la discrimination positive, Gwénaële CALVÈS a pu souligner que, dans tous les pays qui pratiquent la discrimination positive, mais avec une acuité particulière dans le cas français, il convenait de répondre à trois questions préalables avant de mettre en place des politiques d'affirmative action : Au profit de qui ? Dans quels domaines ? À quel coût ?
La discussion qui a suivi a permis d'éclairer l'audience sur certains points en particulier.
C'est ainsi que Gwénaële CALVÈS, tout d'abord interrogée sur la terminologie, a pu retracer la généalogie et rappeler les raisons de l'emploi, en France, d'une expression comme celle de « discrimination positive ». À la fin des années 90, personne parmi les universitaires et chercheurs ne se risquait à parler de « discrimination positive », une expression initialement employée dans le champ politique, à des fins polémiques, et uniquement pour connoter - de manière péjorative - ce qui correspond à une reverse discrimination en anglais, une discrimination « à rebours ». Avec le recul de quelques sept ou huit années, Gwénaële CALVÈS non seulement estime que l'on peut conserver l'expression de « discrimination positive », mais - n'hésitant pas, pour sa part, à en faire le titre de son Que sais-je? (2004) - en préconise également l'emploi dans le champ scientifique. « Discrimination positive », qui renvoie à un concept transversal fonctionnant pour tous les pays, aurait en effet pour principale vertu de désigner une caractéristique fondamentale des politiques en question, dont le propre est précisément d'être des politiques de discrimination, c'est-à-dire préférentielles d'une part, fondées sur un critère illégitime (qu'il s'agisse d'invariants - comme la couleur de peau, ou le sexe -, ou de certains traits inhérents à la personne concernée - comme le handicap) d'autre part. Et Gwénaële CALVÈS d'insister : « Ce n'est pas la peine de recourir à des euphémismes comme 'action positive', ou 'politiques de diversité', qui ont pour effet de nous faire oublier le fond du problème, à savoir que l'on va préférer certains - certes pour la bonne cause! - au détriment d'autres ».
![]() |
Photo 2 - Madame le Professeur Gwénaële CALVÈS, Sendai, 28 juillet 2005 |
Il n'en reste pas moins vrai, et Gwénaële CALVÈS ne le nie pas, que l'expression reste fortement contestée, y compris au sein de la communauté scientifique : beaucoup sont d'avis que l'expression, en elle-même contradictoire, ne contribue en définitive qu'à discréditer les politiques visées. L'occasion de rappeler que la résistance d'une bonne majorité des universitaires à l'égard de la discrimination positive en général, et plus spécifiquement en ce qui concerne la parité en politique, puise à trois sources différentes.
Ces réserves relèvent tout d'abord du registre des préférences individuelles et des partis pris idéologiques, d'autant que la question de la parité a été portée par les femmes et par la gauche, ce qui pour certains publicistes français fait tout de même beaucoup.
Les résistances de certains universitaires s'expliquent ensuite par le fait que, conformément au mouvement de juridictionnalisation du droit, « le droit public français est aujourd'hui entièrement dominé, pour ne pas dire vampirisé, par le Conseil constitutionnel ». Or, et ce n'est un secret pour personne, le Conseil constitutionnel est « radicalement contre » tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à de la discrimination positive, et « s'y oppose... parce qu'il est contre ». L'attraction très forte qu'exerce en France le Conseil constitutionnel ne contribuant pas peu à tuer dans l'oeuf d'éventuelles velléités du côté de nos publicistes.
Enfin, et Gwénaële CALVÈS avance ici un troisième niveau d'explication, « fondamentalement, c'est vrai, la parité est insoutenable en principe ; théoriquement c'est injustifiable ; cela marche en fait, de facto c'est peut-être un remède nécessaire, mais c'est contraire à tous nos principes républicains ». De ce point de vue, les « anti-paritaires » prônent - avant tout, envers et contre tout - la sauvegarde des principes, les idéaux devant primer sur les nécessités politiques. La « révision » de la Constitution en 1999, loin d'ailleurs de pouvoir s'analyser comme un bouleversement de l'édifice constitutionnel, n'a fait en somme qu'ouvrir une minuscule parenthèse au sein de l'article 3 pour introduire la mention d'un égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Le cadre constitutionnel restant par ailleurs intact, et la théorie de la représentation - qui n'a pas pris une ride depuis Sieyès - parfaitement sauve! La « parité à la française »? Une pièce rapportée « qui jure », un peu l'enfant « bâtard » du droit français.
L'ensemble de ces premières observations a permis, en retour, à Madame le Professeur Miyoko TSUJIMURA de souligner tout de même l'écart existant entre les Français qui, quoique partagés, n'hésitent pas, y compris au sein du gouvernement, à employer - sans connotation péjorative, cette fois - le terme de « discrimination positive », et les Japonais qui, en particulier au sein du gouvernement, font preuve d'une extrême prudence et qui, soucieux avant tout d'éviter la polémique, répugnent même à employer l'expression anglaise de « positive action ». Quoiqu'il en soit, la question terminologique, sinon celle des principes, étant - d'un côté comme de l'autre - loin d'être épuisée, rendez-vous est donné le 16 septembre, à Paris...
![]() |
Photo 3 - Madame le Professeur Miyoko TSUJIMURA, Sendai, 28 juillet 2005 |
Revenant ensuite sur le concept lui-même, Gwénaële CALVÈS a insisté sur la nécessité de bien distinguer la discrimination positive française de l'affirmative action telle qu'elle existe aux États-Unis. En effet, tandis que la discrimination positive, indissociable en France d'une logique de justice sociale, renvoie principalement au développement de politiques en faveur des plus défavorisés, l'affirmative action - qui, culturellement, idéologiquement, politiquement, reste indissociable du problème noir et de la white guilt (ou « culpabilité blanche ») à cet égard - désigne surtout une politique élitiste consistant à faire émerger une élite noire, sans considération de l'extrême paupérisation par ailleurs de la majorité de la population noire américaine.
Interrogée, dans un deuxième temps, sur l'évolution prévisible de l'intrument de la « discrimination positive » en France - en particulier en ce qui concerne les politiques publiques de l'emploi (avec le développement de la responsabilité sociale de l'entreprise, par exemple) -, et sur la question de savoir si l'on ne se situait pas dores et déjà dans une ère « post-discrimination positive », où il s'agit moins de contraindre que d'inciter, Gwénaële CALVÈS a pu acquiescer à ce pronostic. La discrimination positive renvoyant, par définition, à des politiques « brutales » et quelque peu « frustres », sont aujourd'hui promues de nouvelles approches, « plus fines ». À cet égard, on peut effectivement penser au développement de la responsabilité sociale des entreprises, mais on pourrait aussi citer la mise à l'honneur de la responsabilité civile (avec la loi du 16 novembre 2001). Peut-être plus particulièrement encore, la notion d'accommodement raisonnable, dérivée de la reasonable accommodation canadienne, transposée en droit français au bénéfice principalement des personnes handicapées (loi de février 2005), mais applicable, par extension, notamment aux femmes, consiste en l'occurrence à faire peser sur les entreprises une obligation non pas de résultat, mais de moyens : span'est pas question d'imposer aux entreprises des quotas de femmes ou de handicapés, par exemple; il s'agit bien plutôt pour ces dernières de rendre leurs emplois « accessibles » aux handicaps, ou adaptés à la spécificité du demandeur d'emploi. Ce qui présente un intérêt tout particulier pour les femmes (adaptation des horaires,...). Avec l'accommodement raisonnable, il s'agit bien d'inciter plutôt que de contraindre. Ce qui ne signifie pas que le droit disparaît. Le droit, s'il se veut ici incitatif, n'en comporte pas moins pour l'employeur l'obligation de prouver, non pas qu'un résultat a été atteint, mais que tout a été mis en oeuvre pour favoriser l'accès à l'emploi de l'intéressé(e). Le cas échéant, l'employeur doit donc prouver devant le juge qu'il a fait tout ce qu'il était en mesure de faire. Avec l'accommodement raisonnable, et comme le souligne Gwénaële CALVÈS, on se trouve donc bien dans la perspective « d'un droit qui accompagne, d'un droit qui stimule, qui est propulsif, incitatif, et qui table beaucoup sur le juge ».
À l'occasion d'une dernière question, Gwénaële CALVÈS a eu l'occasion de préciser la distinction entre la technique du quota et celle dite du « poste réservé ». En effet, la seconde implique de raisonner en termes de type de poste (tel poste bien précis étant exclusivement réservé à certaines personnes, comme cela a été le cas après la première guerre mondiale s'agissant des postes de surveillants de lycée, réservés aux mutilés de guerre); la technique du quota, en revanche, n'impose au recruteur qu'un quota, sans qu'il soit besoin de se soucier par ailleurs de l'affectation des personnes concernées, les femmes, les personnes handicapées par exemple. La seconde technique, plus fine que celle du poste réservé, est nécessairement moins stigmatisante pour les intéressés, et aussi plus souple pour le recruteur, qui peut répartir à son gré les personnes qu'il reste tenu d'embaucher.